FMI : Le Dossier Tunisien Politiquement Orphelin Au Niveau Mondial
Par Hakim TOUNSI
- Pourquoi ne faisons-nous pas, nous-mêmes, ce que nous réclamons au Fonds ?
- Le Président de la République, à un moment exceptionnel, prend seul un décret pour retirer le droit aux binationaux de se présenter aux élections locales en Tunisie. Un acte symbolique qui ne peut que nous laisser perplexes
- La responsabilité incombe à tous les Tunisiens, hommes d’affaires compris, qui regardent le gouvernement se débattre dans ses problèmes et contradictions et le pays couler sans qu’aucune initiative louable
- Il vaudrait mieux peut être élargir le consensus national et faire participer toutes les parties à l’effort national de construction, de développement et de création de la valeur
TUNIS – UNIVERSNEWS – Le Conseil d’Administration du FMI a annulé l’examen initialement prévu ce 19 décembre du dossier d’octroi d’un prêt à la Tunisie. Ce prêt devait être contracté au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) d’une durée de 48 mois et pour un montant d’environ 1,9 milliard de dollars. Il faut préciser qu’en octobre 2022, le principe d’octroi de ce prêt avait été validé dans un rapport établi par les services du FMI, et devait être présenté ce 19 décembre au conseil d’administration de l’institution pour examen et décision.
Les services du FMI en mission en Tunisie avaient émis un avis favorable dans leur rapport à leur Direction qui a elle-même validé ce projet, pour soutenir le nouveau programme, élaboré par les autorités tunisiennes, visant à rétablir la stabilité macroéconomique et à renforcer les filets de protection sociale et l’équité fiscale dans l’objectif de favoriser le retour d’un environnement propice à une croissance inclusive créatrice d’emplois durables.
Le retrait du dossier Tunisie de l’ordre du jour du Conseil d’Administration du FMI du 19 décembre n’en précise pas les raisons ou même s’il s’agissait d’un report ou d’une annulation. Plusieurs raisons pourraient faire penser à un report de date dont pour commencer l’issue des élections législatives tunisiennes tenues le 17 décembre ou le retard pris par les autorités tunisiennes à promulguer la loi de finances 2023 seul document officiel pouvant prouver la réalité des engagements pris par la Tunisie au sujet des réformes exigées par le FMI.
En effet, si le Gouvernement tunisien avait travaillé conjointement avec les services du FMI pour la mise en place de réformes économiques et fiscales qu’il acceptait, d’autres voix dont celle du Président de la République ou de la centrale syndicale (UGTT) ne sont pas de cet avis. La levée de la compensation par les caisses de l’Etat de certains produits estimés vitaux pour l’équilibre social continue à poser de sérieux problèmes pour arriver à un consensus national.
Au nom de la souveraineté nationale et du droit des peuples aux aides économiques, la Tunisie veut l’Aide du FMI, sans accepter de se soumettre à ses dures conditions. Un FMI qui cherche avant tout à garantir la solvabilité de ses débiteurs.
En ma qualité de fervent défenseur de la souveraineté nationale et des droits des plus faibles face à tout système économique arrogant et excessif, la position tunisienne m’interpelle à plusieurs titres.
Nous avons totalement le droit d’invoquer notre souveraineté nationale et notre dignité mais avions nous fait notre devoir pour produire la richesse par nous-mêmes pour éviter de nous retrouver face au FMI. C’est à la fois frustrant et révoltant ! La responsabilité incombe à tous les Tunisiens, hommes d’affaires compris, qui regardent le gouvernement se débattre dans ses problèmes et contradictions et le pays couler sans qu’aucune initiative louable n’ait été prise dans aucun secteur de l’économie pour essayer d’aider à ce qu’on sorte de la crise par nous-mêmes en produisant de la valeur ajoutée ou en optimisant au moins notre potentiel dans ce sens.
D’un autre côté le gouvernement et le président peinent à obtenir 1,9 milliards de dollars du FMI, qui restent un montant insignifiant*, et se permettent de tourner le dos au peuple tunisien, diaspora comprise. Quand on sait que rien que la diaspora tunisienne, composée de près de 2 millions de personnes dans le monde, pourrait à elle seule apporter à la Tunisie beaucoup plus que pourrait lui apporter le FMI. Selon les statistiques les plus récentes, la totalité des transferts en devises effectués par les Tunisiens résidents à l’étranger se sont élevés à septembre 2022 à 8599 millions de dinars, l’équivalent de 2,725 Milliards de Dollars soit bien plus que le 1,9 Milliards du FMI, dont la plupart (86,9%) de pays européens comme la France (44,2%), l’Allemagne (16,9%) et l’Italie (13,5%). Malgré cela et le fort besoin de la Tunisie de l’apport de ses enfants et de sa diaspora, le Président de la République, à un moment exceptionnel, prend seul un décret pour retirer le droit aux binationaux de se présenter aux élections locales en Tunisie. Un acte symbolique qui ne peut que nous laisser perplexes. Une décision inopportune, aux effets nocifs, contre-productive, car dans la réalité il est peu probable qu’un(e) tunisien(ne) binational(e) retourne vivre et se présenter à des élections locales en Tunisie. Comme autre contradiction que nous entretenons jalousement pour mieux enfoncer notre pays et maintenir ses faibles performances, personne dans notre administration du portier au ministre, du secrétaire à l’ambassadeur n’accepte qu’on évalue et qu’on critique son rendement. Bien qu’ils soient tous logiquement au service du peuple nommés et payés pour ce dernier, chacun estime n’avoir de leçons à recevoir de personne, de comptes à rendre à personne alors que le pays s’enfonce, l’économie et les finances publiques battent de l’aile au point de ne plus pouvoir payer les importations alimentaires ou de santé nécessaires à la dignité des citoyens et à la paix sociale.
Sur un autre plan, depuis plus de dix ans, nous recommandons l’ouverture de lignes aériennes internationales avec l’aéroport de Tozeur pour désenclaver toute la région du Sud Tunisien et insuffler une dynamique pour le retour du tourisme et l’amélioration des performances économiques de cette région sinistrée et victime du développement inéquitable. Pourquoi ne faisons-nous pas par nous-mêmes ce que nous réclamons au FMI ?
Pour conclure, nous sommes tous d’accord pour défendre bec et ongles la souveraineté et la dignité nationale. Seules les méthodes peuvent diverger. Il vaudrait mieux peut être élargir le consensus national et faire participer toutes les parties à l’effort national de construction, de développement et de création de la valeur. Il vaut mieux veiller à ce que public comme privé soient actifs, performants, productifs avec une contribution positive pour hisser notre PNB encore plus haut, car sans cela et une fois face au FMI, les choses deviennent plus que compliquées.
* Même si la Tunisie ne fait pas partie de l’Union Européenne, ce qui est loin d’être un détail, la Grèce comptant approximativement la même population que la Tunisie avait, entre 2010-14, reçu 70 milliards d’euros de l’Europe et 30 Milliards du FMI pour remettre en route son système bancaire après une semaine d’arrêt et a reçu un financement échelonné de plus de 420 milliards d’euros pour relancer son économie ! Le dossier Tunisie depuis la révolution de 2011 a toujours été un dossier politiquement orphelin au niveau mondial. Les dossiers financiers notamment avec les bailleurs de fonds internationaux ont pour socle le volet politique sans lequel plus rien n’est possible.
H.T.