Slim Besbès: «En 2024, on reste dans l’ambigüité, le tâtonnement et l’improvisation»
- Nous serons assez loin des prévisions formulées par le schéma de croissance relatif au plan 2023-2025 élaboré par le ministère de l’Economie.
- Les rapports avec les partenaires internationaux classiques, comme le FMI, la Banque mondiale et l’Union Européenne sont assez dégradés.
- Les dettes à contracter en 2024 s’élèvent à 28.7 MDT contre 21.9 MDT en 2023, dont une proportion de dettes extérieures qui s’élève à 16.4 MDT.
TUNIS – UNIVERSNEWS (SEF) – L’ancien ministre des Finances Slim Besbès a accordé à Universnews une interview exclusive où il a évoqué plusieurs points en relation avec la situation économique et financière et les prévisions de croissance pour l’année 2024. Interview.
- Universnews: Comment s’annonce l’année 2024 sur le plan économique et financier?
Slim Besbès : L’année 2024 s’annonce assez difficile et vraiment très exceptionnelle, dans le sens négatif, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette année va culminer l’ensemble des difficultés économiques et financières héritées certes des années antérieures mais auxquelles on tarde toujours de remédier de manière radicale et définitive.
Secondo, sur le plan de la stratégie adoptée par les autorités publiques, on reste totalement dans l’ambigüité, le tâtonnement et l’improvisation. On ne savait pas encore sur quel pied on danse : les rapports avec les partenaires internationaux classiques, comme le FMI, la Banque mondiale et l’Union Européenne sont assez dégradés, mais pas encore au stade de la rupture ; tandis que les relations avec les nouvelles forces émergentes, comme la Chine, la Russie et le BRICS commencent à s’affirmer, mais sont assez loin vers la consécration.
Enfin, la conjoncture mondiale et régionale reste toujours défavorable et assez impactée par la succession des crises, de guerres et d’instabilité dans les pays de proximité.
- La Tunisie pourra-t-elle honorer ses engagements vis-à-vis de l’extérieur?
Pour répondre à cette question, il faudrait rappeler les données chiffrées qui sont extraits du rapport du budget 2024.
Les dettes à contracter en 2024 s’élèvent à 28.7 MDT contre 21.9 MDT en 2023, dont une proportion des dettes extérieures qui s’élèvent à 16.4 MDT, plus que 5 Milliard de dollars et qu’il faudrait mobiliser dans le très court terme. Or, en se rapportant au même rapport du budget, nous constatons que les deux tiers de ces sommes ne sont pas encore identifiés, sachant que pour la première fois les prévisions du ministère des Finances ne sont pas établies sur la base d’un programme avec le FMI, qui serait susceptible de faciliter l’accès au financement international avec des conditions plus favorables.
Le service de la dette en principal et en intérêts totalise 24.7 MDT en 2024 contre 20.7 MDT en 2023, dont 12.315 MDT de dette extérieure, sachant que même le remboursement de la dette interne se fait pour une partie importante en monnaie étrangère.
Cette inadéquation entre une difficulté d’accès à l’endettement extérieur et l’engagement de rembourser des sommes relativement plus importantes en monnaie étrangère pourraient constituer une pression qui joue défavorablement sur les taux de changes entre le dinar et les principales devises.
Ce risque de dépréciation de notre monnaie, par rapport au dollar et à l’euro notamment, contribue à son tour à détériorer davantage la balance de paiement, et ce par l’émergence d’une nouvelle « dette passive » résultant directement de notre stock de la dette extérieure. Rappelons que sur la base de la LF2024, l’endettement public totaliserait 137.8 MDT à fin 2024, dont à peu près 60% sont externes ou en devises.
- Quelles sont les perspectives de croissance de l’économie tunisienne ?
Le budget de l’Etat a prévu une croissance au taux de 2,1% (LF 2024), qui serait basé sur une reprise de l’agriculture, des activités extractives et de la confirmation du secteur du tourisme et des secteurs liés. Notons que le FMI a prévu récemment une croissance de notre économie au taux de 1,9% pour 2024 en Tunisie (PIB), tandis que la Banque mondiale a déjà donné une prévision relativement plus élevée en Juin dernier (3%). C’est-à-dire on pourrait attendre une croissance prévisionnelle en 2024 qui gravite autour de 2%, après la réalisation en 2023 d’un taux assez bas de 0,9%, presque la moitié de ce qui était prévu par le budget 2023.
En fait, avec la réalisation en 2023 et même le taux de 2% de 2024, à supposer qu’il soit effectivement consacré, nous serons assez loin des prévisions formulées par le schéma de croissance relatif au plan 2023-2025 élaboré par le ministère de l’Economie et de la planification, qui prévoyait une moyenne de 2,1% sur la période.