TRIBUNE – L’accord du 11 juin 2023 où quand un soudain réalisme masque un reniement total – Univers News
Tawfik BOURGOU*
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Les experts auto-proclamés du plan «B» en direction des BRICS doivent vivre des moments difficiles
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L’accord avec l’UE est certes crucial, mais celui avec le FMI conditionne son exécution
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La contiguïté des frontières libyennes, la pression algérienne sur les frontières rendent le dispositif européen mortel pour la Tunisie
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L’abrogation des accords signés par Marzouki et Chahed et le rétablissement des visas avant même la signature de l’accord avec l’UE
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Il faut une présence d’observateurs frontaliers y compris sur les frontières tunisiennes
TUNIS – UNIVERSNEWS – On a souvent prêté à Sully la fameuse phrase «La couronne vaut bien une messe», en l’espèce on dira dans le cas de l’actuel président de la République, que 2024 vaut bien un virage à 180°.
Les laudateurs habituels vont applaudir la clairvoyance et les mauvaises langues souligneront dans leur for intérieur (en ces temps de décret 54) que la malédiction de Carthage qui a frappé Béji, obligé par l’UE à pactiser avec Ghannouchi vient de toucher comme une «grâce soudaine» l’actuel locataire du palais de Carthage.
Lénine (Ridha bien sûr), doit être courroucé par le reniement de son ami d’intellect, d’autres «tafsiristes» vont se mettre en quête d’un nouveau vocabulaire et un lexique en capacité de digérer le virage du locataire de Carthage.
Les experts auto-proclamés du plan «B» et de la défection stratégique en direction des BRICS, de Xin Ji Pin et de Poutine, doivent vivre des moments difficiles avant d’entamer eux aussi le virage dans le sillage du maître de céans.
Bref, dans la «saidie», ça sent la retraite stratégique et certainement quelques défections de dépit. Car en plus d’un accord avec l’Europe, qui dit plus que ce qu’en a livré Madame Van der Leyen, Monsieur Saïed va certainement devoir aller devant le FMI dont l’Italie espère une mansuétude vis-à-vis de la Tunisie.
Nous l’avons dit ici à maintes reprises, il n’y a pas et il n’y a jamais eu de plan «B». L’accord avec l’UE est certes crucial, mais celui avec le FMI conditionne son exécution comme l’a chuchoté la Cheffe du Gouvernement Italien, comme vient de le confirmer l’Ambassadeur de l’UE à Tunis sur les ondes d’une radio.
Pour être clair: sans le FMI, pas d’accord avec l’UE. Cependant, rien n’est encore acquis. L’UE est très importante dans les jeux financiers mondiaux, mais le FMI ce n’est pas l’UE, même si le crédit de l’UE (900 millions d’Euros) peut adoucir le remède qui sera inéluctablement imposé à la Tunisie. Il faut juste souligner que l’UE ne peut pas accorder à la Tunisie ce qu’elle n’a pas accordé il y a quelques années à la Grèce, pays membre, pays de la zone Euro, alors en pleine crise économique. Cela signifie que les conditionnalités seront drastiques en termes de réformes, n’en déplaise à Monsieur Saïed même si le temps n’est plus à la métaphore des allumettes et du kérosène.
Dans ses mécanismes, dans son organisation, dans son adossement à la politique de voisinage, l’accord du 11 juin n’innove pas. Il est dans la même veine de ce qui a été proposé à la Tunisie depuis 2011. Un vernis a été ajouté pour offrir une tribune au Président tunisien, une conférence à Rome sur l’immigration clandestine et ses causes. Il aura l’occasion de reprendre le refrain tiers-mondiste. Cela ressemblera beaucoup à ces conférences de contentement qu’on offrait à Monsieur Kadhafi pour lui plaire.
Les axes fondamentaux
En fait l’accord comporte deux axes fondamentaux d’action immédiate et cruciaux pour l’Europe auxquels ont été adjoints des volets de long terme, dont la réalisation est non détachable des deux premiers. Les trois autres sont de plus long terme et peuvent d’ailleurs varier au gré de l’évolution des projets et des coûts, ce qui est habituel en l’espèce.
Le premier axe est l’assistance budgétaire et l’assistance financière (un crédit et un don), il a pour objectif d’éviter le défaut de paiement et l’effondrement. Assorti d’une promesse de négociation avec le FMI pour le compte de la Tunisie. Saïed qui a martelé durant des mois et des semaines l’importance de la souveraineté du pays accepte de facto, d’être sous une tutelle de négociation italienne. L’Italie qui ne veut pas d’un effondrement de la Tunisie a imposé son tempo à l’UE et à la Tunisie. La diplomatie italienne ose faire qu’aucune autre partie n’a osé faire, ni la France, ni les Etats-Unis. C’est une ingérence à peine voilée, mais en ces temps de virages, personne n’aura remarqué.
Le second axe d’intérêt européen majeur lui aussi, c’est la question de l’immigration clandestine vers l’Europe (nous choisissons le terme immigration et non la migration).
Là aussi, la présidence de la République tunisienne a fait un virage à 180°. La visite de Sfax que les partisans de Monsieur Saïed avait interprétée comme un geste en direction de la population d’une ville sous submersion subsaharienne, a été en réalité un temps de contrition qui en dit long sur l’accord migratoire qui a été signé avec l’UE. Cette contrition sonne d’ailleurs comme un abandon.
Sauf à mettre en place un système de visas généralisé, de procéder à des expulsions massives, sauf à rendre étanches les frontières –Ce à quoi nous avons appelé ici, ce que l’actuel président n’a pas fait-, la Tunisie deviendra un hot-spot pour l’Europe de sud.
La réadmission des Tunisiens dans leur pays ne pose aucun problème, c’est le devoir de l’Etat tunisien. Sera problématique le cas des immigrés illégaux subsahariens, massivement présents en Tunisie, Libye, Algérie, Maroc qui désormais n’auraient plus aucun espoir de passage et dont les pays d’origine refusent la réadmission.
L’accord avec l’UE suppose que les Etats européens peuvent expulser vers la Tunisie tous les clandestins passés par ses frontières ou bien ceux qui peuvent prétendre être passés pas la Tunisie.
Or la contiguïté des frontières libyennes, la pression algérienne sur les frontières de l’ouest par une poussée massive d’immigrés subsahariens vers la Tunisie, rendent le dispositif européen mortel pour la Tunisie.
Les six conditions
Les conditions sine qua none de réussite d’un tel dispositif et afin que la Tunisie ne soit pas le dépotoir de l’UE sont au nombre de six:
• L’abrogation des accords signés par Marzouki et Chahed et le rétablissement des visas, sine die avant même la signature de l’accord avec l’UE.
• La reconduite à la frontière de tous les migrants illégaux se trouvant en Tunisie afin de ne pas créer un mécanisme de pérennisation et ce avant toute signature avec l’UE. Car en effet, l’UE peut demander l’établissement des illégaux en Tunisie ce qui serait une catastrophe démographique, sociale et politique pour la Tunisie.
• La construction d’un dispositif fixe de contrôle des frontières terrestres, sur le modèle de ce qui a été mis en place en Hongrie et financé par l’Europe, le long de la frontière avec l’Algérie et avec la Libye.
• L’acceptation par la partie tunisienne d’une peer review en gestion frontalière afin de montrer que les flux de migrants ne partent pas de Tunisie et que leur réadmission ne peut s’opérer en Tunisie. Autrement dit, il faut une présence d’observateurs frontaliers y compris sur les frontières tunisiennes.
• La reprise du contrôle sur la gestion des flux par l’Etat tunisien et la fin de l’ingérence des ONG étrangères dans les affaires sécuritaires tunisiennes.
• Un audit complet et une refonte totale de l’administration des frontières, de la garde maritime, afin de lutter contre les pénétrations mafieuses internationales et nationales. En réalité, c’est la militarisation complète du corps
Ce que la partie européenne ne semble pas avoir compris, ou bien ce qu’elle feint de ne pas voir, c’est que toute annonce par le gouvernement tunisien d’une régularisation massive, ou d’une naturalisation d’illégaux présents en Tunisie signifie l’enclenchement d’une guerre civile dans le pays, à quelques miles marins de l’Italie.
Les mauvais accords ne sont pas ceux qui sont mal rédigés, ce sont ceux dont certaines clauses restent opaques, finissent par donner l’impression d’un complot, la fortune de l’accord Sykes-Picot dans le monde arabe le montre. Or, dans l’accord du 11 juin, il ne s’agit pas que de la Tunisie, il s’agit peut-être de contraindre la Tunisie à admettre des millions de personnes sur son sol dont la population ne veut pas.
T.B.
* Politologue